La Plaine des Jarres, ses mysteres et ses UXO (unexploded ordnance)...

Nous voila de nouveau sur la route, assis (tres) serres dans un bus antique a destination de Phongsavan (dans le nord-est du pays, pres de la frontiere vietnamienne). Quelques minutes apres le depart, l'embrayage craque, gronde et une epaisse fumee noire sort d'une trappe sur le plancher, a l'avant. Pas de probleme, le controleur-mecanicien sort une cle a molette, resserre quelques boulons en roulant et c'est reparti! La route s'attaque aux montagnes, dans un brouillard "a couper au couteau". Les virages etroits se succedent, eprouvant la maigre tenue de route du vehicule et la (petite!) resistance au mal des transports de nos collegues Laos. Les conditions meteo aggravent la conduite locale, deja naturellement tres hasardeuse... Nous depassons un touriste (heureusement sain et sauf) plante en moto, 2 voitures carambolees et un poids lourd en travers de la chaussee. On serre les fesses... :-)
La route traverse une region reputee dangereuse, theatre historique des attaques de rebelles H'Mong (anciennement armes par la CIA americaine pendant la guerre du Vietnam, pour lutter contre les armees communistes Lao et Nord-Vietnamienne), contre l'armee. La resistance H'Mong perdure, 30 ans apres la defaite americaine, mais les conditions de vie miserables des rebelles et la persecution du gouvernement les amenent peu a peu a la reddition. Meme si aucune attaque n'a eu lieu dernierement, les bus locaux sont encore proteges : en effet, a l'avant du bus, haut comme 3 pommes et pas impressionnant pour 2 sous, un militaire en civil monte la garde. Toute son autorite tient dans la kalachnikov qu'il a ostensiblement posee sur le tableau de bord.
Apres plus de 9 longues heures de trajet, nous arrivons enfin a Phongsavan, capitale de province perdue loin des grands centres d'influence du pays. A la nuit tombee l'endroit devient meme un peu "glauque", dans le froid et la lumiere jaune des neons annoncant les guesthouse de la rue principale. Heureusement, nous partageons notre diner regroupes autour d'un brasero avec Loris, jeune Breton rencontre dans le bus. Mais nous ne sommes pas venus ici pour les charmes de Phongsavan (et heureusement sinon y avait de quoi se tirer une balle! :-) mais pour aller faire un tour sur le site archeologique de la Plaine des Jarres.
Sous le soleil retrouve, nous decouvrons un paysage de collines ocres pelees par la culture sur brulis, de rizieres, d'eucalyptus et de pinedes, ponctue de fermes en bois pimpantes. La population est un melange de minorites Thai, H'Monh et Lao. Dans cette region ont ete decouvertes de nombreuses jarres en gres, datant de plus de 2000 ans.

 
Des jarres en gres disseminees sur les collines ocres autour de Phongsavan

Regroupees ou eparpilles, de taille diverses et imposantes (entre 1 et 6 tonnes piece), elles continuent de defier les specialistes. Sarcophages ou stock de nourriture/boissons, personne ne sait exactement pourquoi elles ont ete faconnees.



Mais a quoi pouvaient-elles donc servir?

On en trouve des centaines dans toute la region mais seuls 3 sites sont accessibles aux touristes car correctement demines.  Car la region est grelee de crateres de bombes et truffee d'explosifs non desamorces... Le Laos est le pays historiquement le plus lourdement bombarde au monde... La region nord-est du pays a ete "arrosee" par les Americains pendant 10 ans, entre 1964 et 1975. Officiellement erreurs d'appreciation de la cible a cause du brouillard (" ben j'voulais bombarder les viets mais flute, j'm'a trompe!!"), officieusement pour reduire les bases du Pathet Lao (armee communiste lao) et de l'armee nord-vietnamienne, et servir leur strategie de lutte contre l'extension du communisme en Asie du Sud Est.
1 tonne de bombes par habitant du Laos a cette epoque!. Dont  le tiers n'a pas explose et constitue une menace permanente pour la population, 30 ans apres. Les pires sont ces bombes a fragmentation qui s'ouvraient sur leur longueur et ont dissemine chacune 600 a 700 petites bombes de la taille d'une balle de tennis (appelees "bombies" et contenant elles memes des centaines de billes d'acier), sur un rayon de 5 km. On estime a 80/90 millions le nombre de ces petites bombes, perfidement disseminees dans le sol de la region. Sur le panneau d'information du site de la Plaine des Jarres, il est par exemple indique que sur la surface de 24000 m2 deminee (ce qui ne fait qu'une bande de 800m sur 30m par exemple), on a trouve 127 bombes et 31814 bombies! Les explosifs sont partout, mais personne ne sait ou... Tous les actes de la vie courante presentent un risque. Et les regions ainsi "minees" sont majoritairement tres pauvres car les habitants ne peuvent pas cultiver assez pour se nourrir. Chaque tentative pour etendre les rizieres ou les potagers, ou aller recolter de quoi manger dans la foret se solde par des accidents que les locaux ont appris a redouter. Les communes auraient un interet economique a construire des infrastructures comme des routes, des ponts ou des canaux d'irrigation, mais elles ont peur de conduire les travaux. Le cout humain est trop important (sans compter le cout indirect des pertes de betail).


Avertissement sur le site archeologique : il ne faut marcher qu'entre les marques au sol blanches. Au dela du rouge, le terrain n'est pas demine!

Pernicieusement, la pauvrete est a son tour a l'origine de beaucoup d'accidents. Pour trouver de quoi survivre, les locaux recherchent le metal contenu dans les explosifs, pour le revendre a des ferrailleurs. A leurs risques et perils.
Dans les villages, les debris d'armement sont reconvertis en elements architecturaux (pilotis, clotures, bacs a fleur ou deco) ou en objets usuels (couverts en alu des epaves d'avions americains). Ainsi, les bombes sont des armes de guerre, mais aussi de paix... puisqu'elles deciment encore... Notre guide a eu des mots assez touchants en expliquant d'un air gene que nos intrusions dans les campagnes du coin pouvaient generer des reactions hostiles de la part des personnes agees pour qui tout blanc, grand et avec un gros nez est un americain, deteste... Mais il a conclu " now we are new generation, we are friendly close together..."